Quand votre entreprise perd la mémoire

Toutes les organisations sont apprenantes. On apprend de ses clients, de ses collègues, de son manager, de sa direction. On apprend sur son marché, sur son département, sur son métier.
Alors, s’il n’est pas besoin de travailler au sein d’une organisation apprenante pour apprendre, pourquoi diable chercher à en devenir une ? Et qu’est-ce qui est si compliqué à surmonter lorsqu’on essaie ?

Qu’est-ce qu’apprendre dans une organisation apprenante ?

Lorsqu’on parle d’apprenance en organisation, la question, au fond, n’est pas tant celle de l’apprentissage en lui-même. La question, ou plutôt les questions, sont en réalité celles de :
Son ambition : ce que l’on apprend est-il de nature à maintenir vaille que vaille l’organisation dans ce qu’elle est/fait aujourd’hui ou vise-t-il à mieux servir sa raison d’être et sa vision ?
Son objectif : ce que l’on apprend a-t-il pour but de faire en sorte que l’organisation prospère quand tous les feux sont au vert, traverse les périodes difficiles sans trop de secousses et se réinvente régulièrement ?
Sa fréquence : apprend-on de temps en temps ou très souvent ? y a-t-il des moments réservés dans l’année (une session de formation dans un organisme ad hoc) ou est-ce intégré dans le flux du quotidien ?
Ses modalités : apprendre se fait-il dans des situations bien circonscrites et selon des formes qui disent expressément qu’il s’agit d’une situation d’apprentissage (le format « classe » ou le format « module e-learning » en étant les parangons) ou est-ce aussi une activité presque invisible et protéiforme, qui survient aussi bien en réunion qu’en séminaire, au poste de travail ou hors les murs ?
Sa valorisation : toute personne ayant appris quelque chose de nouveau d’un collègue lui en est-elle reconnaissante ? tout manager incite-t-il ses collaborateurs à améliorer les talents qui sont les leurs, à développer des compétences nouvelles et à les partager ? les dirigeants adoptent-ils une posture d’écoute et font-ils état de ce qu’ils ont appris ?
Il ne s’agit donc pas juste de s’assurer que l’on apprend pour s’affirmer organisation apprenante. Il n’empêche que, parfois, le seul fait d’apprendre devient problématique.

Quand tout fout le camp

Pendant longtemps, la France a pu s’enorgueillir du réseau de centrales nucléaires le plus en pointe dans le monde. Non seulement parce qu’il fournissait une part majoritaire de l’électricité du pays (jusqu’à 77 % en 2000) mais aussi parce qu’il recélait un savoir-faire apprenant sans égal.
Un exemple ? Le moindre incident relevé dans une centrale était aussitôt communiqué à l’ensemble du parc et toutes les autres centrales devaient vérifier qu’elles étaient immunisées contre ce dysfonctionnement ou prendre les mesures imposées.
Un autre exemple ? Tous les corps de métier, du technicien en charge de l’entretien au chimiste ou à l’ingénieur en salle de commande, avaient l’habitude d’échanger sur leurs pratiques et de s’enrichir mutuellement.
Et puis, vers le milieu des années 2000, en partie sous la pression financière, la situation a commencé à évoluer. Les embauches ont ralenti. L’impératif des délais s’est substitué à l’exigence de qualité. Les procédures ont remplacé le dialogue. Leur strict respect a étouffé l’examen critique permanent. De fait, les incidents se multiplient (+9,7 % entre 2016 et 2017) et les temps de réparation s’allongent. Comme le dit un technicien : « Notre entreprise se casse la gueule, il faut être clair là-dessus. »

L’amnésie organisationnelle

En définitive, un savoir unique, tant par sa nature d’une haute technicité que par le groupe très restreint de ses détenteurs, disparaît au fil du temps. On assiste à ce qu’Arnold Kransdorff a appelé une « amnésie temporelle », cette incapacité d’une organisation à transmettre ses connaissances et ses pratiques au fil du temps. Avec pour conséquences directes de reproduire les mêmes erreurs ou de se retrouver dans l’incapacité de capitaliser sur ses réussites – enjeu à rapprocher, soit dit en passant, de celui des départs en retraite de collaborateurs expérimentés.
À ce premier type d’amnésie peut s’ajouter une « amnésie spatiale » qui voit un savoir rester cantonné à un périmètre limité (quelques pairs, un service, un niveau hiérarchique…) ou ne pas être correctement transmis et perdre ainsi de sa valeur.
Comment vous assurer contre les effets de ces amnésies ?

Les quatre étapes de l’apprenance

Penchez-vous sur la façon dont votre entreprise, votre établissement ou votre équipe apprend. Quelles sont les occasions où cela peut (voire devrait) arriver ? Que se passe-t-il lorsqu’un nouveau savoir (ou savoir-faire, ou savoir-être) est :
– Identifié ?
– Interprété et formalisé ?
– Acquis et intégré ?
– Diffusé et institutionnalisé ?
Quels sont les savoirs qui ont passé chacune de ces étapes avec brio ? qu’avaient-ils de particulier ? Quelles histoires racontent-ils au sujet de votre organisation ? Quels priorités, quels principes et, en dernière analyse, quelles valeurs reflètent-ils ?
Au fur et à mesure de vos investigations, vous allez commencer à dessiner le portrait apprenant de votre organisation. Vous allez surtout isoler les mécanismes qui y fonctionnent particulièrement bien. Vous pourrez alors vous appuyer dessus, les valoriser et les amplifier progressivement afin qu’un maximum de collaborateurs en bénéficient.
Contrairement à une maladie bien connue, l’amnésie organisation est réversible – il serait dommage de ne pas en profiter !

Pour en savoir plus sur l’audit apprenant :
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L’auteur

Laurent Habart

Laurent Habart est consultant et formateur indépendant. Il accompagne les entreprises dans l’amélioration de leur organisation et la mise en place de politiques de développement des compétences innovantes. Il est l’auteur de La nouvelle organisation apprenante – Et si c’était la vôtre (éditions Diateino, 2018) et de plusieurs études sur les nouvelles tendances en ressources humaines (La fonction RH étendue, Optimiser la formation en entreprise, Former et transmettre autrement…). Il est également scénariste de bande dessinée (Pink Daïquiri, Le Lombard).


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