Mettre en place une culture apprenante – Pourquoi ? (1/5)

La question de la culture apprenante, et plus généralement celle de la culture d’entreprise, ne semble pas, contrairement à d’autres sujets, compter parmi les préoccupations centrales des directions RH ou des directions générales.
Pourtant, lorsqu’on se penche sur le sujet, on découvre soudain un vaste champ d’opportunités en termes d’amélioration de la performance pour les organisations – et, au fond, c’est bien de cela dont il est question lorsqu’on parle de formation. Alors soyons concrets : pour quelles raisons mettre en place une culture apprenante ?

Qu’est-ce qu’une culture ?

Avant de les examiner toutefois, accordons-nous sur la notion de « culture ». Dans une étude qui date de 2013, Luigi Guiso et al. rapportent que 85 % des plus grandes entreprises américaines (les S&P 500) ont une voire deux sections autour de la culture d’entreprise sur leur site internet.
Mais dans une présentation antérieure (2009), Reed Hastings et Patty McCord, respectivement PDG et ex-DRH de Netflix, nous conseillaient déjà de nous méfier de ces valeurs « qui font bien », celles qui sont écrites noir sur blanc sur les écrans des sites ou dans les pages des rapports annuels.
Car la culture d’entreprise n’est pas ce qui s’énonce. C’est ce qui se vit au quotidien au sein d’une organisation. Il s’agit donc d’identifier les valeurs réelles et non les valeurs affichées. Autrement dit, ce « code de communication implicite » (Cremer, 1993) qui cimente les relations entre collaborateurs.
Comment cela ? En regardant, selon Hastings et McCord, « qui est récompensé, qui est promu et qui est écarté ». Selon eux, les vraies valeurs sont incarnées par les comportements et les compétences valorisées par l’ensemble des collaborateurs.
Guiso et al. donnent l’exemple d’une entreprise qui se voudrait irréprochable sur le plan du service client. Si la situation économique se tend, les employés et les managers vont être tentés de rogner sur cette exigence : c’est coûteux (en temps comme en argent) pour un retour sur investissement difficile à estimer à court terme. En outre, même si cela amoindrit l’image de l’entreprise, rien ne dit que cela aura un impact sur le chiffre d’affaires. Et puis qu’est-ce qu’un petit manquement ici ou là ? Bref, pour Guiso, le seul moyen d’éviter une telle dérive est d’élever la qualité du service client au rang de valeur absolue. Une valeur devant être respectée quoi qu’il arrive. Et non un objectif parmi d’autres.
Très pragmatiquement donc, la culture d’entreprise est ce qui oriente les choix des collaborateurs. Elle forge leurs critères de décision qu’elle que soit la situation dans laquelle ils se trouvent.

Des raisons business

Alors pourquoi s’attacher à développer une culture apprenante au sein de son organisation ?
Les marchés, les technologies, les comportements changent de plus en plus vite : c’est une des vérités les mieux partagées dans le monde de l’entreprise (voire au-delà) et l’avènement du digital n’a fait qu’accentuer cette tendance. Certains haruspices modernes ne pronostiquent-ils pas qu’à l’horizon 2030, environ 60 % des métiers d’aujourd’hui auront disparu ?
Or, comme l’écrit le sociologue allemand Hartmut Rosa (Accélération – Une critique sociale du temps), « l’accélération affecte non seulement ce que les individus font et éprouvent mais aussi ce qu’ils sont. »
Il n’est donc plus possible d’affirmer que le monde bouge de plus en plus vite sans permettre à ses collaborateurs de s’adapter à cette accélération. Sans leur donner les moyens de maîtriser leur devenir. Sans leur permettre de changer, eux aussi, de plus en plus vite. Bref, sans leur fournir les moyens d’apprendre en permanence.
Au fond, comme le dit Stephen Gill dans une récente étude, « Il faut que l’entreprise progresse dans sa capacité à progresser ». C’est certainement pour cette raison que, dans le monde, à l’exception notable – et un peu effrayante – de la France, « la formation est citée par l’ensemble des dirigeants interrogés comme la priorité pour adapter les compétences » (La révolution des métiers, EY (2014)).

Des raisons organisationnelles

Peter Drucker l’affirmait : « la culture prend de la stratégie au petit déjeuner ». Autrement dit, si les collaborateurs ont tous en tête les valeurs qui les unissent, s’ils sont tous en mesure d’aligner leurs missions et actions sur la vocation de l’entreprise, ils vont d’eux-mêmes en déduire les actions stratégiques qui en découlent.
Comme le rappelle Torben Brick, la culture constitue avec la vision et les moyens (capabilités) le trio gagnant d’une transformation organisationnelle réussie.
Il est tout aussi illusoire de vouloir monter des murs si vous ne savez pas quelle allure aura la cathédrale que vous voulez bâtir que si vous n’en avez pas au préalable assuré les fondations. Et la culture apprenante est sans doute la fondation des fondations. Celle qui vous permettra toutes les audaces architecturales.

Des raisons pédagogiques

Même s’il n’est pas fondé et corroboré par la science, le modèle 70/20/10 de McCall, Eichinger et Lombardo popularisé par Charles Jennings fait aujourd’hui l’unanimité, et sans doute à raison.
Toute personne en charge de la formation au sein d’une entreprise ne peut plus l’ignorer. Ce qui signifie qu’elle ne peut plus se contenter de travailler sur les 10 % de formations « formelles ». D’autant que, comme le rappelait Olivier Gauvin d’Opcalia, les apprenants sont près de la moitié à estimer n’avoir pas eu l’occasion d’exploiter leurs nouveaux savoir-faire une fois leur formation terminée (sans même parler de ceux pour qui la formation n’était pas pertinente).

Il s’agit de porter son attention en priorité sur ces 70 %, autrement dit de s’interroger sur les situations et les dispositions qui vont permettre à chaque collaborateur de progresser davantage au fil de ses missions. Car, selon le mot du consultant américain Nick Shackelton-Jones, « En tant que responsable formation, on ne fait vraiment que deux choses : nous créons des expériences et nous accompagnons la performance. »
La culture apprenante est la réponse à ce challenge. C’est en mettant en place les jalons d’une telle culture en interne que les conditions d’une apprenance plus efficace vont être petit à petit réunies.

Les quatre conditions d’une culture apprenante

Toutes ces bonnes raisons très brièvement énumérées, se pose maintenant la question de la diffusion d’une culture apprenante. Y aurait-il une recette ? une méthode ? un mode d’emploi ?
En regardant du côté de Chris Argyris, d’Amy Edmondson, de David Garvin, d’Isaac Getz, de Frédéric Laloux, de Peter Senge et de quelques autres encore, on peut dégager quatre conditions pour qu’une culture apprenante prenne son essor au sein d’une organisation :
–    Une vision claire et partagée
–    Des dirigeants qui montrent l’exemple
–    Un environnement favorable à l’apprentissage
–    Des procédures d’apprenance concrètes.
Ce sont ces quatre conditions que je me propose d’étudier dans les quatre semaines à venir.

(edit. : pour les plus pressés qui ne pourraient attendre les prochains posts, je tombe sur ce condensé de conseils d’Edgar H. Schein toujours bon à prendre)

L’auteur

Laurent Habart

Laurent Habart est consultant et formateur indépendant. Il accompagne les entreprises dans l’amélioration de leur organisation et la mise en place de politiques de développement des compétences innovantes. Il est l’auteur de La nouvelle organisation apprenante – Et si c’était la vôtre (éditions Diateino, 2018) et de plusieurs études sur les nouvelles tendances en ressources humaines (La fonction RH étendue, Optimiser la formation en entreprise, Former et transmettre autrement…). Il est également scénariste de bande dessinée (Pink Daïquiri, Le Lombard).


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