Mettre en place une culture apprenante – Une vision claire et partagée (2/5)

Une culture apprenante, on l’a vu, n’est pas sans offrir de nombreux bénéfices à l’organisation qui s’applique à la déployer. Mais comment s’y prendre ? Le préalable à une culture commune, c’est une vision claire et partagée. Si tout le monde au sein de l’entreprise ne partage pas la même vision, si tout le monde n’a pas la conviction d’œuvrer dans le même sens ou pour la même cause, alors inutile de songer bâtir une culture commune : a-t-on jamais posé les fondations d’une cathédrale avant d’en avoir dessiné les plans ?

La vocation originelle

Mais qu’est-ce qu’une vision ? D’après Robert Dilts, consultant américain pionnier en PNL, offrir une vision, ce n’est pas garantir aux collaborateurs que, tous ensemble, ils vont déplacer des montagnes. Ce n’est pas non plus leur expliquer par quel miracle ils vont pouvoir les déplacer. Proposer une vision, c’est en réalité leur montrer où les montagnes seront une fois qu’elles auront été déplacées.
Mais la vision ne jaillit pas de rien comme le pétrole en Pennsylvanie un beau jour de 1859. Elle est intimement liée à la vocation de l’entreprise. Cette vocation, c’est la raison d’être de l’entreprise. Elle peut provenir, comme me le disait un entrepreneur, d’une frustration initiale ou d’un vide à combler – ce condensé d’énergie brute qui pousse le créateur à agir contre vents et marées. Elle exprime toujours l’utilité sociale de l’entreprise, autrement dit ce qu’elle est censée apporter à la société et à ceux qui la composent.

Un monde idéal

À aucun moment il ne s’agit d’un but compétitif. À aucun moment il ne s’agit d’un objectif chiffré. Qui a jamais accompli de grandes choses (dans une entreprise comme dans l’histoire de l’humanité) en se fixant pour vocation d’augmenter de 1,5 % la marge brute de sa business unit ? La dimension d’une vocation n’est pas numérique, elle est affective.
La vision présente en quelque sorte le monde idéal dans lequel l’entreprise essaie de s’inscrire. Un monde où elle aura accompli sa vocation. De fait, comme l’écrit Peter Senge en citant Kazuo Inamori, « L’essentiel n’est pas ce qu’est la vision mais ce qu’elle fait faire. » Elle a pour fonction de tendre les énergies de tous les collaborateurs vers ce monde (et non dans la même direction tant il serait illusoire et contre-productif d’obliger tous les collaborateurs d’une même entreprise à suivre exactement la même route).

Partager sa vision

Pour y parvenir, il ne suffit pas de concevoir une vision, encore faut-il la communiquer et faire en sorte que les collaborateurs y adhèrent. Je me suis livré récemment à un petit exercice : j’ai demandé à trente collaborateurs (d’une PME de 200 personnes) quelle était pour eux la vision de leur entreprise. Aux yeux de ses clients et de ses partenaires, cette PME peut revendiquer un positionnement clair et fort. J’ai donc pensé que la vision y serait plus nette qu’ailleurs. Or, sur ces trente personnes, une seule ( !) a été en mesure de me citer la vision de l’entreprise dans un esprit proche de celui du PDG.
Formaliser la vision de l’entreprise, c’est le plus souvent l’apanage de la direction. Un rôle qu’elle s’arroge de bon gré. Un dirigeant d’un grand organisme bancaire me confiait qu’à ses yeux, la communication faisait partie des missions essentielles du dirigeant. Et singulièrement la communication autour de la vision et de la stratégie.
Si c’est à lui qu’incombe la nécessité de rendre commun le monde qu’il a envisagé pour l’entreprise, il ne faut surtout pas qu’il inhibe les velléités imaginatives de ses collaborateurs. Car on n’adhère jamais autant à une idée que lorsqu’on l’a formulée soi-même. Ainsi que l’écrit Isaac Getz, « Les salariés ne commencent à s’approprier affectivement une vision d’entreprise que lorsqu’ils sont libres de prendre leurs propres décisions pour la mener à bien ».

Clarifier sa vision

Clarifier et partager une vision constituent donc un travail de longue haleine. Qui exige de remettre chaque jour l’ouvrage sur le métier à coups de communications internes et de communications externes. Mais plus encore à coups de décisions porteuses de sens.
Aujourd’hui présente sur les cinq continents, la marque de sports extrêmes Patagonia a été fondée au début des années soixante par Yvon Chouinard. À l’époque, cet alpiniste amateur ne trouvait pas de coins satisfaisants pour gravir les faces qui occupaient ses journées. Il créa alors sa propre fonderie et vit bientôt tous les autres alpinistes amateurs affluer vers lui. Jusqu’à ce qu’il se rende compte des dommages provoqués par ses propres coins sur les faces qu’il affectionnait tant.
Lui, un amoureux de la nature, comment pouvait-il accepter cela ? Il ferma sa fonderie et trouva un moyen de concevoir des coins plus adaptés. Son entreprise connut alors un développement fulgurant. Et son ambition n’en fut que renforcer : n’avoir aucun impact négatif sur l’environnement.
Mais comment faire pour rendre concrète une vision de telle façon que tous ses collaborateurs et tous ses partenaires s’en emparent ? Au début des années 80, Yvon Chouinard décida de donner 2 % des profits de Patagonia à des associations de défense de l’environnement. Persuadé d’être dans le vrai, il passa en 1985 à 10 %. D’autres entreprises lui emboîtèrent le pas sans toutefois respecter la rigueur de son engagement.
Plutôt que de les critiquer publiquement pour s’en désolidariser, il préféra user d’une autre tactique : il avait lancé le mouvement et avait été suivi ; il continuerait à ouvrir la voie. En 1996, plutôt que de consacrer 10 % de ses bénéfices, il décida donc d’y consacrer 1 % de son chiffre d’affaires. Quels que soient les bénéfices de l’année. Et cela tout en permettant à ses collaborateurs de s’investir dans ces associations de défense de l’environnement sur leur temps de travail – à condition bien sûr que cela n’entrave pas ledit travail.
De nombreux autres exemples similaires jalonnent la vie de Patagonia et sont racontés par Yvon Chouinard lui-même dans son livre Let my people go surfing. Comme cette année où il décida, contre l’avis de tous les experts, de supprimer les packagings de sa gamme de sous-vêtements pour éviter que douze tonnes de plastique ne soient jetées chaque année par sa faute.

Ce sont là des cas extrêmes qui reposent sur le choix d’un dirigeant. Mais une fois que la vision est bien ancrée dans l’esprit des collaborateurs, chacun peut opérer, à son niveau, les choix qui lui semblent s’imposer pour exprimer cette vision.
Il n’en reste pas moins qu’aucune culture ne peut vraiment prendre si les dirigeants ne montrent pas, eux-mêmes, l’exemple. Ce qui fera l’objet du prochain article.

L’auteur

Laurent Habart

Laurent Habart est consultant et formateur indépendant. Il accompagne les entreprises dans l’amélioration de leur organisation et la mise en place de politiques de développement des compétences innovantes. Il est l’auteur de La nouvelle organisation apprenante – Et si c’était la vôtre (éditions Diateino, 2018) et de plusieurs études sur les nouvelles tendances en ressources humaines (La fonction RH étendue, Optimiser la formation en entreprise, Former et transmettre autrement…). Il est également scénariste de bande dessinée (Pink Daïquiri, Le Lombard).


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