Mettre en place une culture apprenante – Un environnement favorable (4/5)

Diffuser une culture apprenante nécessite que toute l’entreprise soit unie autour de la même vision. Cela demande que les dirigeants montrent l’exemple par des opinions et des pratiques qui incitent chacun à progresser. Mais cela requiert aussi un environnement propice à l’apprenance. Autrement dit, cela demande que l’environnement de travail soit structuré et parcouru par quelques principes bien établis qui rendent possibles les comportements porteurs de progrès. On peut en identifier de nombreux, en voici cinq.

Un sentiment de sécurité

Google a lancé en 2012 le projet Aristote avec l’idée d’identifier ce qui différencie les équipes les plus performantes des autres. Les analystes de Mountain view ont scruté 180 équipes et réalisé plus de 200 interviews. Et le premier principe qui a émergé, le principe commun à toutes les équipes performantes, ce n’est ni le niveau d’expertise, ni le niveau d’engagement, ni le niveau de complémentarité de leurs membres. C’est le sentiment de sécurité psychologique qui s’en dégage.
Et au fond, ce n’est pas nouveau. Dès les années 60, le psychologue et professeur au MIT Kurt Lewin parlait déjà du safe space comme d’un des fondamentaux du travail en équipe. Si vous avez confiance en vos collègues, si vous vous sentez acceptés, si vous pouvez être vous-mêmes, alors vous pourrez reconnaître vos manques et demander de l’aide, vous améliorer ou sortir de votre fameuse « zone de confort ». Selon Lewin, le changement ne peut intervenir que dans un environnement qui ne vous juge pas.
C’est également le constat auquel a abouti le professeur Amy Edmondson de l’université d’Harvard. L’apprentissage ne survient vraiment que quand, dans un environnement dépourvu de tensions, on nous demande de donner le meilleur de nous-mêmes.

Un endroit où il fait bon apprendre

Le premier facteur de sécurité psychologique ne serait-il pas l’espace où nous travaillons ? La question du rapport de l’apprentissage au lieu où il survient n’est pas nouvelle (l’exemple de l’Ørestad Gymnasium au Danemark est connu).
Cela dit, il est rare qu’elle se pose en entreprise. Où l’open space est devenu la règle incontournable. Et pourtant, depuis plusieurs années maintenant, des voix s’élèvent pour combattre cette mode. Loin de favoriser la collaboration, il serait plutôt de nature à nous distraire (et l’on sait combien il est difficile de revenir à une tâche dont on a été brutalement tiré).
Même si les jeunes collaborateurs ou les nouveaux arrivants peuvent plus facilement apprendre les codes de l’entreprise dans un environnement ouvert, il s’agirait ainsi, selon une étude de Jungsoo Kim et Richard de Dear de l’université de Sydney, de la forme d’organisation spatiale la moins satisfaisante.
Au final, nous serions 15 % moins productifs en open space.

Un écosystème technologique complet

L’endroit où l’on apprend peut être physique comme virtuel. Et tout comme il ne suffit pas d’avoir ouvert l’espace pour favoriser les échanges, il ne suffit pas d’avoir installé un LMS pour favoriser l’apprenance.
Les plus courageux iront voit du côté de Jane Hart tout ce que peut comporter l’espace personnel d’apprentissage d’un collaborateur d’aujourd’hui. Au fond, il s’agit moins pour l’entreprise de fournir une solution polyvalente qu’un ensemble d’outils (selon le principe du best of breed) et les moyens de s’en servir à sa guise.
Par exemple en aidant ceux qui le souhaitent à transmettre eux-mêmes leurs savoirs et savoir-faire. Les pratiques de user generated content, que ce soit sous forme de modules distanciels ou de vidéos, ont de belles années devant elles.

L’ouverture aux idées neuves

On l’a vu précédemment, refuser l’échec, c’est implicitement inciter ses collaborateurs à éviter de se mettre en danger (« Si vous n’avez pas fait la moindre erreur, c’est que vous n’avez pas pris suffisamment de risque. », disait Bill Gore, le fondateur de WL Gore et associates).
Plus vous serez prêt à accepter l’échec, plus vous serez ouvert aux idées nouvelles et plus vous apprendrez. Cela étant dit, nous avons tous un penchant naturel qui nous rend réticent face à la nouveauté, à la différence. Comment alors le faire taire ? Revenons chez Google : Astro Teller, le responsable du projet X de Google (la déjà célèbre Moonshots factory), a pour habitude de féliciter les équipes qui ont échoué. Il les fait monter sur scène, il leur fait raconter leur échec, il les félicite publiquement. Il fait même mieux : il les invite ensuite à choisir, parmi les projets en cours, celui qui les tente le plus et à s’y raccrocher.
Quelle est l’idée derrière ça ? Il veut bâtir une « culture de l’audace ». Il veut que les équipes se fixent des objectifs ambitieux et qui les motivent vraiment. Personne n’aime échouer. Même si nous sommes félicités après un échec, nous savons intuitivement que nous le serons davantage encore après un succès. Ses équipes redoublent donc d’énergie pour mener à bien leurs projets, aussi ambitieux soient-ils (et l’ambition n’est pas chose étrangère à Google, à ce qu’on raconte).

Des temps de réflexion

Nous avons tous le sentiment que le temps nous manque. Entre les réunions qui n’en finissent pas, les e-mails non lus qui s’empilent dans la messagerie, les dossiers non traités qui s’entassent sur un coin du bureau, les collègues qui sollicitent un coup de main en urgence et les projets transverses où l’on s’égare, nous n’avons jamais assez de temps pour tout mener de front. Alors nous courons. Nous courons sans cesse.
Et dans le même temps, nous savons que nous ne sommes jamais aussi efficaces que lorsque nous avons pris le temps d’un pas de côté, d’un peu de recul et de réflexion. Nous savons, comme nous le montrent par exemple Adam Grant et Rob Rebele, qu’accepter toutes les sollicitations, c’est courir à notre perte.
Les entreprises qui promeuvent une culture apprenante ont conscience qu’il faut « protéger notre temps ». Elles mettent donc en place, de façon régulière, des réunions qui permettent de faire le point. On y examine ce qui s’est passé, comment on aurait pu l’améliorer ou faire autrement.
Astro Teller, au début de chaque projet, réunit l’équipe qui va se lancer et demande à chacun d’imaginer toutes les raisons pour lesquelles ce nouveau projet échouerait. Mais échouerait vraiment, au point qu’ils ne puissent plus se regarder dans les yeux. Par ce temps de réflexion initial, il désamorce les craintes et il lève une partie des tensions susceptibles de jalonner la vie dudit projet.

Ces cinq principes ne sont certainement pas les seuls susceptibles de rendre l’environnement propice à la diffusion d’une culture apprenante. Et ils ne sont certainement pas suffisants. Viennent s’ajouter des procédures d’apprenance concrètes qui vont jalonner le quotidien de tous et finir par ancrer les bienfaits de la culture apprenante.

L’auteur

Laurent Habart

Laurent Habart est consultant et formateur indépendant. Il accompagne les entreprises dans l’amélioration de leur organisation et la mise en place de politiques de développement des compétences innovantes. Il est l’auteur de La nouvelle organisation apprenante – Et si c’était la vôtre (éditions Diateino, 2018) et de plusieurs études sur les nouvelles tendances en ressources humaines (La fonction RH étendue, Optimiser la formation en entreprise, Former et transmettre autrement…). Il est également scénariste de bande dessinée (Pink Daïquiri, Le Lombard).