Comment réinjecter de la confiance

Le chiffre parle de lui-même : des 200 000 répondants de l’enquête Parlons travail, plus de la moitié estime qu’ils ne peuvent compter sur leur manager (seuls 15 % sont pleinement en accord avec l’idée que leur manager les aident à accomplir leur tâche). L’enquête ne le dit pas mais il y a de grandes chances pour que la réciproque soit vraie chez les managers qui se sentent certainement obligés de surveiller le travail de leurs collaborateurs à coups d’indicateurs et de reportings.
Pourtant, ne sait-on pas depuis longtemps que l’on ne fait rien de grand si l’on ne se sait pas soutenu et accompagné ? que la sécurité psychologique est le premier facteur de performance d’une équipe ? La question se pose donc : comment atténuer cet empire de suspicion ?

Les bienfaits de la confiance

Il y a plusieurs raisons pour lesquels le besoin de contrôle est quasi omniprésent dans nos organisations. Contrôler, c’est évaluer une situation et poser un diagnostic afin de s’assurer que l’action concernée est en ligne avec les prévisions et, le cas échéant, la réorienter. Contrôler, c’est identifier les passages difficiles, ceux qui ont grippé et ceux qui ont raté, afin d’apprendre des erreurs et s’améliorer.
Mais contrôler, c’est aussi dans la plupart des cas vérifier que ce qui a été demandé a bien été fait, voire examiner à la loupe comment cela a été fait. Une tâche a été donnée par le manager à son collaborateur et le premier se doit de s’assurer que le second l’a correctement remplie. Autrement dit, contrôler est le signe de l’absence de confiance.
Or, de plus en plus d’organisations souhaitant tirer un trait sur les pratiques managériales d’hier et s’ouvrir à des modes plus collaboratifs, plus responsabilisants et plus motivants tendent à remettre de la confiance là où la suspicion présidait.
Et à juste titre : la confiance provoque la sécrétion d’ocytocine qui favorise l’apparition de sensations agréables. Et l’augmentation du taux d’ocytocine fait diminuer le taux de cortisol, une des hormones activées lors des phases de stress.
Pour installer la confiance chez ses collaborateurs, un dirigeant peut agir sur deux niveaux, individuel d’une part, organisationnel de l’autre.

Organiser les conditions de la confiance

Comment agir au niveau organisationnel ? Les entreprises qui font cet effort commencent par ajouter de la clarté aux rôles de leurs collaborateurs et par faire en sorte que chacun ait connaissance des rôles de tout le monde, tant il est vrai que l’ambiguïté alimente la défiance.
Elles instaurent également des règles de fonctionnement en nombre réduit et équitables. Tantôt elles se fonderont sur un principe de justice, tantôt elles suivront un principe d’égalité, toujours elles feront en sorte que les bases de la reconnaissance soient connues et approuvées par le plus grand nombre et en ligne avec la culture de l’entreprise.
Elles mettent enfin l’accent sur la transparence. Ne rien cacher serait montrer que l’on est digne de confiance. C’est en substance ce qu’affirme Eric Douglas, le PDG de Leading Resources Inc,, un cabinet de consulting américain, dans une récente newsletter. Or, même si la recherche de davantage de transparence peut avoir un effet positif dans le processus de création de confiance, celle-ci semble très vite en prendre le contrepied. Car se montrer transparent, c’est au fond donner à chacun la possibilité de contrôler à tout moment au risque de retomber dans le travers énoncé plus haut.
Poussons le bouchon un peu plus loin : là où la transparence est totale, la confiance n’a plus de raison d’être (« Celui qui sait tout n’a pas besoin de faire confiance, celui qui ne sait rien ne peut raisonnablement même pas faire confiance », Georg Simmel, cité par Michela Marzano). Elle n’existe qu’en proportion de l’imprévisibilité et de l’opacité. La confiance est une gestion du risque. Elle induit la possibilité de voir la personne en qui on se fie se comporter différemment de ce que l’on prévoit.
Face à une telle situation, il y a donc un tri à faire entre :
– Les informations accessibles (budgets, stratégies, plans d’actions, etc.) et celles qui n’ont pas besoin de l’être
La fréquence, la facilité et la rapidité avec laquelle ces informations sont actualisées et examinées
Les compétences à maîtriser pour bien décoder les informations disponibles.
Cela dit, la confiance ne peut se contenter de processus organisationnels pour prospérer. Elle repose en dernière analyse sur la relation qu’entretient chaque collègue avec ses pairs, collaborateurs et managers.

Susciter la confiance dans les relations du quotidien

Comment traduire la confiance dans les rapports interpersonnels ? On ne peut évincer les affinités spontanées, celles qui font qu’intuitivement, nous allons accorder notre confiance à une personne que nous connaissons peu. Il est cependant difficile de s’en contenter.
Pour susciter la confiance, quatre leviers sont à la disposition de chacun, illustrés par David Maister dans l’équation de la confiance.
Vous êtes digne de confiance si :
– Vos propos rassurent. Vous êtes crédible, vous savez de quoi vous parlez et savez aussi reconnaître les limites de vos compétences ou des informations en votre possession
– Vos actions sont lisibles. Vous faites preuve d’intégrité, vous êtes fiable car vous dites ce que vous faites et faites ce que vous dites. Vos collaborateurs ont le sentiment qu’ils peuvent compter sur vous
– Vous manifestez de l’empathie. Vous ne vous laissez pas déborder par vos émotions sans pour autant les étouffer. Parce qu’ils vous sentent bienveillants, vos collaborateurs peuvent exprimer leurs faiblesses, leurs satisfactions comme leurs craintes face à vous
– Votre égocentrisme est limité. Vous n’agissez pas à votre profit mais au profit de l’équipe et, au-delà d’elle, de l’organisation.

Réparer la confiance

Quelles que soient les conditions mises en place, quelles que soient les bonnes volontés de chacun à l’égard de tous, quand la confiance s’installe, s’installe avec elle le risque de la déception voire de la trahison. C’est inévitable et bien fou serait celui qui tenterait de s’en abstraire par une sorte de principe de précaution permanent et omnipotent.
De fait, ce qui consolide vraiment la confiance au sein d’une organisation est la façon dont celle-ci permet à chacun d’affronter la déception/trahison. Pour cela, deux voies s’offrent aux managers : la voie préventive et la voie curative.
D’un côté, il est possible de formaliser les risques de déception en amont et réfléchir ensemble aux réponses à y apporter. C’est l’option prise par Astro Teller en charge des projets Moonshots pour X, la filiale d’Alphabet : à l’entame d’une nouvelle aventure, il réunit les membres de son équipe et leur demande d’imaginer que leur projet prenne des allures de bérézina ; il les invite ensuite à énumérer toutes les raisons qui pourraient conduire à un tel fiasco ; puis il leur propose de partager ces sources d’échecs et d’identifier ensemble les moyens de les éviter.
De l’autre, il est utile d’instituer des temps dévolus à l’expression de ces déceptions une fois qu’elles ont eu lieu. C’est ce que s’efforce de faire le modus operandi holacratique avec le principe des réunions de triage qui ont pour objet de capitaliser sur les tensions afin d’en tirer des enseignements positifs. L’exercice peut se révéler ardu pour certains mais permet de réparer la confiance et favoriser la résilience via un mécanisme qui transcende l’interaction personnelle en se plaçant au niveau du collectif.

Dans des organisations qui laissent de plus en plus de libertés aux collaborateurs, qui les poussent à toujours plus d’initiatives, qui s’ouvrent toujours davantage vers l’extérieur, la confiance n’est rien d’autre que l’huile indispensable d’un moteur toujours plus complexe – alors veillons à ce que son niveau ne baisse pas.

L’auteur

Laurent Habart

Laurent Habart est consultant et formateur indépendant. Il accompagne les entreprises dans l’amélioration de leur organisation et la mise en place de politiques de développement des compétences innovantes. Il est l’auteur de La nouvelle organisation apprenante – Et si c’était la vôtre (éditions Diateino, 2018) et de plusieurs études sur les nouvelles tendances en ressources humaines (La fonction RH étendue, Optimiser la formation en entreprise, Former et transmettre autrement…). Il est également scénariste de bande dessinée (Pink Daïquiri, Le Lombard).


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