De formateur présentiel à e-tuteur…

Un formateur présentiel qui se voit amené, de manière plus ou moins volontaire, à intervenir dans une FOAD, et donc à investir des fonctions tutorales, peut manifester des réticences face à cette évolution professionnelle.

Ces réticences sont principalement liées à la représentation qu’il a de sa professionnalité, à un sentiment de perte de qualité de la relation pédagogique, à des appréhensions liées à sa capacité à développer les nouvelles compétences exigées par la distance.

La professionnalité du formateur

Chaque formateur a des motivations personnelles qui l’ont amené à exercer cette profession. Eu égard au nombre marginal de formateurs ayant réalisé une formation initiale les préparant à exercer leur métier de formateur, il apparait que la principale représentation de leur professionnalité réside dans la conscience de leur savoir disciplinaire et de leur expertise. Il en résulte qu’ils adoptent fréquemment des pratiques pédagogiques peu conscientisées qui relèvent souvent de la reproduction de celles qu’ils ont vécues comme apprenant. La prégnance du modèle pédagogique transmissif s’explique en grande partie par cet état de fait. Leur détention d’un savoir, qu’ils sont amenés à transmettre, fonde tout à la fois leur légitimité à être formateur et leurs pratiques pédagogiques.

Lors de la mise à distance de la formation qui distingue temporellement de manière très forte les phases de conception et d’animation, ils peuvent nourrir un sentiment de perte de leur professionnalité lorsqu’ils ne sont pas en situation de produire les ressources de contenu de la formation. D’un statut d’artisan qui maîtrise l’ensemble du processus de formation, de la conception à l’évaluation en passant par l’animation, ils sont amenés à s’inscrire dans une chaîne de production partiellement industrialisée.

C’est pourquoi, il me semble important, d’amener les formateurs en présentiel devenant e-tuteurs à modifier leurs représentations sur leur métier. S’il est toujours demandé à un e-tuteur de maîtriser un contenu –  les enquêtes effectuées auprès des apprenants à distance montrent régulièrement que ceci persiste à être un élément décisif pour la reconnaissance de la légitimité du e-tuteur par les apprenants – il est certain que cela ne lui sera pas suffisant pour investir ses fonctions d’accompagnement et de support à l’apprentissage. Cette modification de leurs représentations passe par la prise de conscience que la transmission n’est pas l’alpha et l’oméga de la formation et que le chemin emprunté, la démarche pédagogique, les médiations et les remédiations sont la plus-value toujours indispensable à l’apprenant face à l’étude des ressources médiatisées. Moins enseigner et plus former, plus accompagner, plus soutenir, plus aider les apprenants, sont les actions autour desquelles se cristallise un changement de posture professionnelle : objectif central de toute formation au e-tutorat.

La crainte d’une relation pédagogique amoindrie

Beaucoup sinon la quasi-totalité des formateurs en présentiel ont choisi ce métier parce qu’ils ont un goût, une appétence pour les relations humaines, pour les interactions avec les apprenants. De même, ils apprécient le cadre privilégié qu’est la salle de formation qui autorise l’auto-commande, l’indépendance, voire le secret, et qui constituerait la condition nécessaire et suffisante à « l’alchimie pédagogique ».

Leur sentiment de perte provoqué par la mise à distance de la formation est donc nourri tout à la fois par la condamnation à une communication médiatisée faisant peu de place au non verbal et par le fait que les murs de la salle devenant plus transparents, ils s’exposent au regard de tiers précisément exclus en situation présentielle.

Il serait vain d’argumenter sur l’équivalence de la relation pédagogique pouvant être entretenue en présentiel et à distance. Il y a bien perte mais, et ceci est moins facilement identifiable par les formateurs en présentiel, également gain. Quelques soient les situations médiatiques, y compris celles qui comme la vidéoconférence se rapproche le plus du face à face, il existe toujours un amoindrissement de la communication. Le cadre défini par la webcam, sans même parler de la taille ou de la résolution de la transmission vidéo, ampute la communication non verbale. Un débit insuffisant et c’est l’énonciation qui peut se voir impacter. Les regards échangés, les postures, la vision panoramique du groupe sont sources d’indices pour le formateur en présentiel dont le e-tuteur ne bénéficie pas, à plus forte raison s’il communique de manière écrite et asynchrone avec les apprenants. Il y a donc bien perte et il est, à mon sens, contreproductif de ne pas le dire clairement aux formateurs futurs e-tuteurs. Toutefois, il est également nécessaire d’attirer leur attention sur les gains que la distance procure. A l’heure où l’individualisation et même la personnalisation de l’apprentissage sont de plus en plus demandées, il faut bien reconnaitre que la formation présentielle n’est pas, sur ce point, en position de force vis-à-vis de la formation en ligne. En effet, si l’on conçoit aisément que la prise en compte des caractéristiques individuelles des apprenants reste de l’ordre du fantasme pour un enseignant en amphi, il existe aussi une certaine illusion à la croire pleinement possible en face à face avec un groupe restreint d’apprenants. L’unité de temps et de lieu impose un rythme uniforme à tous les apprenants du groupe. Le rassemblement physique rend la gestion de la dynamique du groupe prépondérante par rapport à la formulation de réponses aux attentes individuelles. Au contraire, la distance qui dissocie l’unité de temps et de lieu, les échanges asynchrones qui permettent le respect des disponibilités et des rythmes individuels deviennent autant d’occasions de mette en œuvre l’individualisation. Dès lors, la relation pédagogique  transformée ne perd pas en qualité et peut même y gagner.

Si la distance offre des solutions à l’individualisation, elle n’est pas non plus sans atout pour susciter la collaboration et la confrontation collective, la négociation du sens. La popularisation des outils de communication rend aujourd’hui possible ce qui hier ne l’était pas : organiser des débats, des activités collaboratives, des situations d’entraide. Ces outils permettent de réactualiser le fait que si l’on apprend toujours seul, on apprend jamais sans les autres.

Tenir un tel propos est néanmoins insuffisant pour emporter l’adhésion des formateurs en présentiel les plus réticents. Il est indispensable de mettre ceux-ci dans la posture d’apprenants à distance, de leur faire vivre la situation et de les amener non seulement à ressentir les difficultés de l’apprentissage à distance mais dans une démarche réflexive de penser les interventions possibles pour mieux répondre aux besoins d’aide des apprenants à distance. Le fait qu’ils puissent observer, comme c’est le cas en formation de formateurs, les attitudes et les actions de leur e-tuteur est très propice au développement de leurs compétences. Il est certain que ces sessions de formation devraient aussi prévoir un accompagnement des e-tuteurs novices dans leurs premières actions d’accompagnement d’apprenants à distance par des e-tuteurs expérimentés. Enfin, susciter l’émergence de communautés de pratique de e-tuteurs est une modalité de formation continue à ne pas ignorer.

S’autoriser à être pour devenir e-tuteur

L’autorisation à être, comme nous le montrent de nombreuses formations initiales professionnelles qui incluent la rédaction de mémoires peut passer par « l’auteurisation ». Etre capable de s’exprimer par écrit est une des compétences centrales du e-tuteur. Que ce soit pour répondre à un mail, intervenir dans un  forum, chatter, twitter, l’écriture dans toutes ses variantes, est un exercice quotidien du e-tuteur.

Si l’oralité est moins présente à distance qu’en présentiel, il convient pour les e-tuteurs de maîtriser les situations communicationnelles de l’entretien téléphonique, de l’audioconférence, de la vidéoconférence… Ce qui caractérise ces situations par rapport à celle de la formation présentielle, c’est qu’elles sont plus limitées dans le temps, mais aussi que l’attention des apprenants est entièrement focalisée sur le propos. Il appartient donc aux e-tuteurs de préparer davantage leurs interventions, de transférer leurs compétences de concepteurs de déroulé pédagogiques pour produire des scénarios d’interactions tutorales.

Une des difficultés perçues par les formateurs en présentiel pour interagir à distance est liée à la perception de leur capacité à maîtriser les outils de communication. Les réponses apportées se traduisent trop souvent par des formations centrées uniquement sur les fonctions de ces outils. Certes, cela s’avère nécessaire mais, plus important, est de leur permettre de développer une réflexion sur les usages pédagogiques de ces outils. Pourquoi choisir tel ou tel outil ? Dans quelles situations ? Pour atteindre quels buts ? Avec quelle efficacité ?

Chaque formateur présentiel peut devenir e-tuteur !

Devenir e-tuteur nécessite de la part d’un formateur présentiel une prise de conscience sur l’évolution de la formation et de son métier, l’acceptation et/ou l’intérêt à repenser sa professionnalité, l’identification des différences, des pertes et des gains liés à la relation pédagogique à distance, l’engagement dans un parcours de formation. Si le formateur présentiel accomplit ces efforts, il est important de rappeler que d’autres sont à effectuer par les organisations qui les font travailler : ne pas considérer le e-tuteur comme un sous formateur,  lui accorder une véritable reconnaissance y-compris financière, lui donner la possibilité de se former.

Aujourd’hui, et demain encore plus, l’accompagnement des apprenants à distance est à investir. Cette évolution constitue une opportunité pour les formateurs d’élargir leurs compétences et de démentir ainsi l’adage du cordonnier mal chaussé.


Publié

dans

par

Étiquettes :